Rochet-Schneider : le pionnier de Lyon racheté par Berliet

Par Elodie

Connaissez-vous Rochet-Schneider ? Ce nom oublié cache une épopée lyonnaise hors du commun, entre prouesses automobiles et disparition mystérieuse. Fondée en 1894 par Édouard Rochet et Théodore Schneider, cette marque a démarré avec des vélos avant de devenir un pionnier de l’automobile. De ses premières victoires à la course de côte du Mont Ventoux en 1906 à la fourniture de 1 363 camions pendant la Première Guerre mondiale, en passant par son slogan emblématique « force, simplicité et silence », plongez dans l’incroyable histoire Rochet Schneider. Vous y découvrirez ses innovations révolutionnaires, ses choix fatals, et comment elle a façonné l’automobile française… avant de s’éteindre en 1968.

Rochet-Schneider : l’histoire oubliée d’un géant automobile lyonnais

Connaissez-vous Rochet-Schneider ? Ce nom ne vous dit peut-être rien, et pourtant, c’est l’histoire méconnue d’un fleuron de l’automobile française, né à Lyon à la fin du XIXᵉ siècle.

De la bicyclette aux camions surpuissants, cette entreprise a traversé un siècle d’innovations industrielles. Elle a d’abord produit des cycles avant de se lancer dans les véhicules automobiles de luxe, puis dans les véhicules commerciaux. Un parcours atypique, marqué par des prouesses techniques et des défis relevés dans un contexte économique complexe.

Comment une entreprise pionnière, symbole de prestige et d’excellence, a-t-elle disparu pour finir absorbée par un autre géant lyonnais, Berliet ? Quels sont les ingrédients qui ont nourri cette saga industrielle ? Et surtout, pourquoi l’histoire Rochet Schneider mérite-t-elle d’être racontée aujourd’hui ?

Ce récit vous invite à remonter le temps pour découvrir les coulisses d’une aventure à la fois humaine, technique et économique. Alors, prêt à plonger dans l’histoire d’un pionnier de l’automobile ?

Des vélos aux premières voitures : les débuts d’une ambition

L’association de deux visionnaires

En 1894, Lyon voit naître un duo improbable. Édouard Rochet, ingénieur passionné de cycles, et Théodore Schneider, industriel lyonnais, unissent leurs forces. Lui apporte la technique, lui les finances. Une collaboration moderne, où innovation croise audace entrepreneuriale

Pourquoi Lyon ? La ville bouillonne. Les rues résonnent du cliquetis des vélocipèdes, mais un rêve germe : mécaniser les déplacements. Le pari paraît fou, ils y croient dur comme fer. Leur atelier initial, au 4 place Saint-Pothin, devient vite trop étroit. L’ambition déborde des murs !

Le grand saut vers l’automobile

En 1895, le rêve prend forme. Grâce aux capitaux de Schneider, une usine s’élève rue Paul Bert. Et là, miracle : naît la première voiture en 1895. Pas un bijou, mais un break 4 places révolutionnaire. Regardez bien : moteur horizontal à l’arrière, transmission par courroie, roues en bois cerclées de fer. Un OVNI mécanique !

La version vis-à-vis, plus légère, surprend encore aujourd’hui. Comment la décrire ? Des roues de vélo, des pneus, avec une vitesse folle : 30 km/h ! Imaginez, en 1895, filer comme le vent ! Ce modèle agile prouve que la mécanique peut concurrencer la calèche.

Quelle audace de passer des pédales aux moteurs en si peu de temps. Ces pionniers n’ont pas juste construit une voiture, ils ont lancé une révolution. Dès 1899, l’usine déménage au chemin Feuillat. Le slogan « force, simplicité et silence » résume leur ambition : performance brute, sans fioritures. Pourtant, le chemin ne sera pas sans obstacles… En 1905, une tentative d’expansion à Londres tourne au fiasco. Heureusement, la solidité du projet et l’ingéniosité de Rochet et Schneider permettent de surmonter la crise.

L’âge d’or : « force, simplicité et silence« 

Une réputation bâtie sur la performance

En 1896, Rochet-Schneider inscrit son nom dans l’histoire automobile en devenant la première automobile à atteindre le Col du Galibier (2 645 mètres d’altitude). Un exploit réalisé par les fondateurs eux-mêmes, Édouard Rochet et Théodore Schneider, sur un modèle « vis-à-vis » léger équipé de pneumatiques.

Ce coup de génie marketing marque un tournant. La montée des 18 km du col, avec une pente moyenne de 7,2 %, prouve la fiabilité et la puissance de leurs véhicules. D’autres succès suivront :

  • 1896 : Première voiture à franchir le Col du Galibier, un exploit retentissant.
  • 1898 : Des places d’honneur aux courses Marseille-Nice et Lyon-Lagnieu.
  • 1905 : Un modèle de course de 100 ch atteint la vitesse impressionnante de 141 km/h.
  • 1906 : Victoire à la célèbre course de côte du Mont Ventoux.

Le slogan « force, simplicité et silence » résume parfaitement l’ADN de la marque. Pour les clients de l’époque, cela signifie une voiture robuste, facile à utiliser, et offrant un confort inégalé grâce à son moteur silencieux.

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Le symbole du luxe et du prestige

En 1900, l’ouverture de l’usine de Monplaisir (10 000 m²) marque un tournant industriel. La production explose : 100 voitures en 1901 contre 250 en 1904. Rochet-Schneider devient synonyme de voitures de prestige, appréciées par une clientèle exigeante.

La consécration arrive en 1913 : le Président Raymond Poincaré choisit une Rochet-Schneider Type 11000 Torpédo pour ses déplacements officiels. Ce modèle 4 cylindres de 2,6 litres incarne l’élite automobile avec ses accessoires en laiton, ses cuirs marqués d’initiales, et sa précision d’ingénierie.

Derrière ce succès se cache une vision stratégique : dès 1909, la marque élargit sa gamme pour toucher les professions libérales tout en conservant son ADN de luxe. Mais ce positionnement haut de gamme, associé à une production limitée, rendra la société vulnérable face à la montée des volumes dans les années 1920.

Quand la finance prend le pas sur la technique : les premières fissures

En 1905, le transfert du siège de Rochet-Schneider à Londres marque un tournant décisif. Pourquoi une entreprise en pleine expansion, capable de tripler son chiffre d’affaires entre 1901 et 1904, prend-elle un tel virage ? Quels enjeux financiers poussent les dirigeants à délaisser leur ancrage lyonnais pour un marché étranger ?

L’échec de l’aventure londonienne

La création de Rochet & Schneider Ltd à Londres en 1905 vise à capter des capitaux étrangers. Cette opération se révèle être un échec cuisant : le chiffre d’affaires chute de 40% en quatre ans. Les investisseurs britanniques, étrangers au savoir-faire lyonnais, orientent la société vers des décisions financières court-termistes, éloignées des réalités techniques. Le siège lyonnais, qui employait 800 personnes en 1930, perd progressivement son autonomie.

La dissolution de la structure anglaise en 1908 n’efface pas les dégâts. L’entreprise sort fragilisée, avec un contrôle technique désormais soumis aux impératifs boursiers. La production reste à Lyon, mais la dynamique industrielle s’essouffle. Les ingénieurs, privés de liberté créative, voient leurs projets innovants gelés au profit de calculs financiers.

Le départ des fondateurs

Les tensions internes éclatent avec le départ des fondateurs : Théodore Schneider quitte l’aventure en 1910, Edouard Rochet en 1917. L’âme visionnaire de Rochet-Schneider disparaît, remplacée par une gestion financière. Les nouveaux dirigeants persistent sur le marché de niche du luxe, contrairement à Berliet qui anticipe la production de masse.

  • 1910 : Théodore Schneider quitte la société après des désaccords sur la stratégie financière
  • 1917 : Edouard Rochet s’en va, marquant la fin de l’innovation maison
  • Après 1917 : Gestion financière sans vision industrielle

Cette stratégie ralentit l’innovation. Les modèles restent solides, mais les volumes de vente s’effritent face à une concurrence plus accessible. En 1930, malgré 800 employés, l’entreprise peine à s’adapter. Les coûts de production élevés et l’absence d’industrialisation moderne scellent son destin. La reprise par Berliet en 1959 n’est plus qu’une formalité.

L’innovation technique, l’ADN oublié de Rochet-Schneider

Plus qu’une belle carrosserie

Derrière l’image de luxe, Rochet-Schneider cachait un concentré d’innovations. Saviez-vous que cette entreprise lyonnaise, fondée en 1894, accumulait les brevets bien avant que cela ne devienne courant ?

La marque surprenait par sa vision mécanique audacieuse. Dès ses débuts, elle expérimentait des solutions techniques inédites. En 1906, son modèle de course atteignait 141 km/h grâce à un moteur 8 cylindres et une transmission par cardan.

Ces brevets, parfois oubliés, révèlent un savoir-faire mécanique exceptionnel. Par exemple, les freins hydrauliques, déposés en 1911 (brevet FR449420), anticipaient de plusieurs décennies une technologie devenue standard.

Des avancées qui ont marqué leur temps

Les innovations de Rochet-Schneider n’étaient pas des gadgets. Elles révolutionnaient réellement l’automobile de leur époque. Découvrez les technologies qui ont façonné leur réputation d’ingénierie audacieuse :

  • La transmission par cardan : Généralisée sur les modèles de 12 à 28 HP à partir de 1908, elle remplaçait les chaînes bruyantes et peu fiables.
  • Le carburateur Zénith : Adopté dès 1908, il optimisait la consommation grâce à un système de gicleur compensateur révolutionnaire.
  • Les moteurs monoblocs : Des 4 ou 6 cylindres modernes avec graissage automatique, offrant plus de puissance et de fiabilité.
  • Les freins hydrauliques : Des brevets ambitieux déposés dès 1911, prouvant une vision avant-gardiste sur la sécurité.

À l’heure où les concurrents s’attardaient sur le design, Rochet-Schneider investissait dans des solutions concrètes. Cette audace technique explique pourquoi la marque a pu tenir face aux géants de l’époque.

De la guerre au virage industriel : la fin des voitures de tourisme

L’effort de guerre (1914-1918)

La Première Guerre mondiale bouleverse le cours de Rochet-Schneider. L’usine lyonnaise est réquisitionnée pour produire des obus, des pièces pour moteurs d’avion… et surtout, 1 363 camions de 1,5 tonne pour l’armée française.

Cette reconversion massive marque un tournant : le constructeur découvre les avantages de la production en série pour l’industrie lourde. Les camions, utilisés comme véhicules sanitaires, s’imposent comme une réussite inattendue.

L’adieu à l’automobile

Après la guerre, le marché du luxe s’effrite. Malgré des tentatives de relance avec des petites séries haut de gamme, la crise frappe Rochet-Schneider. En 1931, la production d’automobiles cesse définitivement, laissant place à un nouveau défi.

Les ateliers lyonnais se spécialisent alors dans les véhicules industriels. Une décision salvatrice : les camions et autobus deviennent le cœur de métier de l’entreprise, s’adaptant aux besoins du marché.

Le nouveau visage de Rochet-Schneider

L’année 1933 marque un autre virage technologique avec l’adoption du moteur diesel Oberhänsli. Cette innovation révolutionne la production lourde, offrant puissance et économie de carburant.

Les nouveaux modèles emblématiques naissent : Ajax, Phébus, Centaure. Ces camions lourds, équipés de moteurs diesel ou essence, desservent les besoins militaires et civils, devenant synonymes de fiabilité.

Les grandes phases de production de Rochet-Schneider
Période Type de production Événement marquant
1894 – 1914 Cycles puis Automobiles de luxe et de course Âge d’or, réputation de prestige, slogan « force, simplicité et silence »
1914 – 1918 Matériel de guerre (obus, camions militaires) Reconversion pour l’effort de guerre, production de 1 363 camions
1919 – 1931 Tentative de retour aux petites séries haut de gamme Crise du marché du luxe, fin de la production automobile
1932 – 1951 Véhicules industriels (camions, bus, autorails) Adoption du moteur diesel Oberhänsli, abandon définitif de la voiture particulière

Le rachat par Berliet : chronique d’une fin annoncée

Un déclin inévitable après 1945

Après la Seconde Guerre mondiale, Rochet-Schneider peine à s’adapter à la reconstruction. L’entreprise, spécialiste des véhicules de luxe depuis 1895, rate la transition vers les séries industrielles. La production de châssis s’arrête en 1950, laissant place à la sous-traitance pour des tiers. L’effectif, qui avoisinait 800 salariés avant-guerre, tombe à 200. Les bâtiments lyonnais sont loués à d’autres industriels. Berliet, concurrent historique et roi des camions, profite de cette vulnérabilité pour s’approcher.

L’objet de l’intérêt de Berliet

Berliet, spécialisé dans les camions et locomotives, repère le savoir-faire de Rochet-Schneider en transmissions et moteurs diesel. En 1949, les deux entreprises collaborent sur les prototypes T6 et T12, conçus pour l’armée. En 1954, les ingénieurs lyonnais rejoignent Berliet, transférant leur expertise. Les prototypes évoluent en GBU et TBU, devenant des best-sellers militaires dans les années 1950-1960. Ce partenariat marque l’héritage technique de Rochet-Schneider.

La naissance d’une filiale

En 1959, Berliet officialise le rachat. Les anciens locaux de la rue Paul-Bert et Monplaisir, lieux de naissance des premières automobiles en 1895, abritent désormais le service pièces détachées du groupe. En 1968, la marque disparaît définitivement. Retour sur les jalons :

  • 1950 : Fin de la production de châssis. L’entreprise devient sous-traitante pour l’automobile et le ferroviaire.
  • 1954 : Les ingénieurs du bureau d’études rejoignent Berliet pour les camions militaires.
  • 1959 : Rochet-Schneider devient filiale de Berliet, intégrée à son empire industriel.
  • 1968 : Arrêt total des activités. Le nom disparaît du paysage, mais les GBU-TBU perpétuent son ADN technique.

Quel héritage pour ce pionnier de l’automobile ?

Innovation technique et prestige, Rochet-Schneider a marqué l’histoire automobile lyonnaise. Mais derrière ces succès cachés, un choix stratégique fatal : rester ancré dans le luxe alors que le marché basculait dans la production de masse.

Alors que Berliet investissait massivement dans l’industrialisation, Rochet-Schneider laissait filer le virage de la modernité. La perte de contrôle face aux financiers, après le départ des fondateurs, a scellé son destin. Le déclin s’est accéléré après 1945, malgré des prototypes militaires prometteurs (T6, T12) repris par Berliet en 1954.

Pourtant, leur savoir-faire n’a pas disparu. Les ingénieurs Rochet-Schneider ont alimenté les projets Berliet, donnant naissance aux GBU et TBU en 1957. Un héritage paradoxal : une marque éteinte, mais dont l’ADN vit à travers ses rivaux.

Aujourd’hui, en arpentant les rues de Lyon, vous ne verrez plus de Rochet-Schneider. Mais vous savez désormais que cette aventure industrielle reste un chapitre incontournable de l’automobile française. Un géant oublié, mais pas tout à fait disparu, non ?

Rochet-Schneider, pionnier oublié de l’auto lyonnaise, a brillé par son innovation technique et son prestige. Pourtant, un choix stratégique fatal — rester dans le luxe — l’a mené à sa chute. Son savoir-faire a survécu via Berliet, intégrant ses ingénieurs et projets. Aujourd’hui, sa trace se perd, mais son histoire rappelle un chapitre clé de la voiture française.

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